Je suis épileptique pis, des fois, c’est le fun !
Ma première crise, c’est arrivé dans ma classe pendant mon exposé oral en sixième année. J’avais jamais eu de diagnostic, rien. Mon épilepsie à moi, c’est l’ensemble de mon cerveau qui entre en crise. En gros, je tombe à terre et je fais des convulsions. Ça, c’est la crise que vous, vous voyez. Quand je suis à terre, moi, je ressens déjà plus rien.
Ma crise à moi, je la vis avant de tomber. Tout se met à avoir l’air anormal.
Par exemple, les mots ne veulent pas dire les bonnes choses. C’est vraiment difficile à expliquer. Le temps s’arrête. Quand tu me demandes « comment ça va ? », je me mets à réfléchir sur le sens du mot comment. Je pars dans un espèce de bad trip. Pendant mon oral, je me rappelle, j’avais mon carton dans la main, mais j’étais plus vraiment là. Quand je me suis réveillé, j’étais à terre pis visiblement tout le monde avait vécu quelque chose que moi, j’avais pas vécu !
Et depuis ce temps-là, j’en fais plein.
C’est sûr qu’il y a des gros désavantages. Dans mon ancienne école secondaire, j’ai fait une crise en 1re secondaire où j’ai fait pipi dans mon pantalon. Mettons que ça facilite pas les affaires avec les filles. Dans les couloirs, je me sentais comme une goutte de savon à vaisselle dans le gras. Je repoussais tout.
En 3e et 4e secondaire, les gens se sont mis à réagir moins fort. On est plus vieux, c’est moins big time le pipi dans les culottes. On en revient ! J’ai plein d’amis, je suis représentant de classe, je suis très impliqué. Le problème qui reste, c’est les limites que des fois les autres m’imposent ! Les parents qui ont peur que je me blesse, les affaires de même. Moi je refuse ça. Je fais pas pitié pis je me sens pas en danger. Pis ça m’énerve quand on me dit des choses comme ça.
J’ai surtout décidé de vivre mes crises d’épilepsie comme une expérience que les autres ne vivent pas. En période de crise, je ressens des choses spéciales, je vis des choses spéciales. J’explore. J’ai l’impression des fois d’avoir des portes ouvertes sur un autre monde, que je peux pas vraiment expliquer (et sans drogue). J’essaie de jouer avec. J’apprends aussi à laisser aller. Tsé, maintenant quand je la sens venir, je me couche à terre et je regarde le plafond. Et je teste des choses.
Étrangement, ça ne m’a jamais fait peur. Au mieux, j’ai accès à des sensations que vous, vous avez pas. C’est juste ça.
Réflexion
L’épilepsie, c’est un excès d’activité excitatrice ou un manque d’activité inhibitrice dans le cerveau. Les neurotransmetteurs qui excitent les cellules ne font plus bien leur travail. Mais heureusement, les cellules environnantes arrivent ensuite à prendre le dessus. C’est pour ça que la grande majorité des crises durent moins de cinq minutes.
Quand je lis le témoignage de Noé, je comprends que sa crise débute dans une partie très précise de son cerveau avant de se propager partout. C’est le moment où il se sent étrange. S’il est droitier, c’est probablement dans sa zone frontale ou temporale gauche qu’il se passe quelque chose au début, ce qui explique qu’il ne comprend plus le sens des mots. Il l’explique d’ailleurs vraiment bien. Ensuite, la crise se généralise, elle atteint tout son cerveau et il n’est plus conscient de rien.
Quand l’épilepsie se manifeste chez un enfant ou un adolescent, elle est majoritairement bénigne et survient au cours du développement du cerveau. Elle dure quelques années et ensuite disparaît. Ce n’est pas comme chez l’adulte où elle est souvent due à une lésion ou une malformation.
Aussi, la surprotection que Noé vit de la part de ses parents est très fréquente. On essaie souvent de limiter les activités des ados épileptiques mais ils doivent vivre leur vie quand même ! Bien sûr, il faut toujours faire attention aux circonstances, comme dans l’eau par exemple. Mais Noé est remarquable. Il a bien intégré sa condition. Ça fait partie de sa vie.
Anne Lortie, neuropédiatre à l’hôpital Ste-Justine propose cette réflexion.
La surprotection dure longtemps, moi j’ai 60 ans et vit encore de la surprotection de mes parents qui ont 81 et 84 ans. C’est très dur de leur faire lâcher-prise et de me faire confiance